AMP à l’étranger pour un couple de femmes avant la loi du 2 août 2021 : précisions complémentaires sur les dispositions transitoires

24.06.2025

Droit public

La loi visant à réformer l'adoption ne pose aucune exigence formelle relative à la mise en œuvre d'une tentative préalable de reconnaissance conjointe devant notaire, à laquelle serait subordonnée la recevabilité de la demande d’adoption par l’épouse de la mère.

L’affaire illustre une nouvelle fois les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les couples de femmes, souvent mariées à la faveur de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, qui se sont rendues à l’étranger avant que la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique ne leur ouvre en France l’accès à l’AMP. Tel était le cas en l’espèce. Deux femmes en couple depuis plusieurs années se sont mariées en septembre 2019. Poursuivant un projet parental commun, elles se sont rendues en Belgique pour que l’une d’elles puisse bénéficier d’une AMP avec donneur. Cette dernière a donné naissance à un enfant le 11 février 2021. Une mésentente étant apparue dans les premiers mois de la grossesse, le couple s’est séparé.  En mars 2022, l’épouse de la mère a déposé une requête en adoption plénière de l’enfant en application de l’article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022. De son côté, la mère a déposé, en avril 2022, une requête en divorce et le divorce a été prononcé le 20 mars 2023.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Par jugement du 30 novembre 2022, le tribunal judiciaire d’Annecy a déclaré la demande d’adoption irrecevable. Le jugement a été infirmé par un arrêt de la cour d’appel de Chambéry du 28 novembre 2023 qui a déclaré recevable la demande d’adoption plénière et prononcé celle-ci.

La mère a formé un pourvoi en cassation fondé sur deux moyens. Dans un premier moyen, elle estime que « la tentative préalable de reconnaissance conjointe devant notaire, pour caractériser le refus de la mère inscrite dans l'acte de naissance de procéder à cette reconnaissance, est un formalisme préalable sans lequel la demande d'adoption est irrecevable ». Elle souligne que l’action en adoption forcée, instaurée à titre exceptionnel par la loi du 21 février 2022, n’est ouverte qu’en cas de refus de la mère de réaliser la procédure de reconnaissance conjointe a posteriori elle-même ouverte pour une période transitoire pour les AMP antérieures à la loi du 2 août 2021. Le formalisme exigé pour la reconnaissance conjointe est essentiel, et la seule preuve de la volonté de la mère de ne pas voir naître de lien entre la demanderesse à l'adoption et l'enfant ne peut suffire à rendre recevable la demande d'adoption forcée. Dans un second moyen, elle fait grief à l'arrêt attaqué de prononcer l'adoption plénière et de dire que l’enfant portera un double nom composé pour partie du nom de chaque femme, sans avoir précisé en quoi la protection de l’enfant exigeait que son adoption soit prononcée malgré le refus de sa mère biologique.

Le pourvoi est rejeté par un arrêt publié au Bulletin, sur rapport du conseiller M. Fulchiron et avis conforme de l’avocate générale Mme Caron-Déglise. Ces travaux préparatoires en ligne permettent de contextualiser l’arrêt.  

La tentative d’une reconnaissance conjointe n’est pas une condition de recevabilité de la demande d’adoption

En réponse au premier moyen, la Cour de cassation rappelle les termes de l’article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption, qui a instauré, à titre exceptionnel pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi, la possibilité pour la femme qui n’a pas accouché de demander à adopter l’enfant issu d’une AMP pratiquée à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021, lorsque la mère refuse de procéder à une reconnaissance conjointe. Le texte pose trois conditions à une telle demande : il faut que l’AMP ait été réalisée avant la publication de la loi du 2 août 2021 ; la femme doit rapporter la preuve d’un projet parental commun ; elle doit prouver que l’AMP a été réalisée à l’étranger conformément à la loi étrangère.

En l’espèce, l’AMP avait été réalisée avant l’entrée en vigueur de la loi du 2 août 2021 (et la naissance elle-même était antérieure à cette date, ce qui de toute façon eût été indifférent). L’AMP avait été pratiquée en Belgique conformément semble-t-il aux dispositions de la loi belge. Seul le projet parental commun avait été discuté devant les juges du fond en raison de la séparation rapide des deux femmes après le début de la grossesse ; sans succès, car divers éléments attestaient de ce projet parental de longue date.

La question centrale était celle des modalités de constatation du refus de la mère de procéder à une reconnaissance conjointe a posteriori, et de la subordination ou non de la recevabilité de la demande d’adoption à une tentative préalable de reconnaissance conjointe, attestée par une demande formelle adressée à la mère.

Sur ce point, la Cour de cassation constate que le texte ne pose aucune exigence formelle quant à la mise en œuvre d'une tentative préalable de reconnaissance conjointe devant notaire. Elle estime en conséquence que la preuve du refus de la mère inscrite dans l'acte de naissance, de procéder à cette reconnaissance, peut être rapportée par tout moyen. La solution est pertinente au regard des textes et de la différence qui existe entre la reconnaissance conjointe a posteriori prévue par l’article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 et la reconnaissance anticipée de l’article 342-11 du code civil. Le refus de procéder à la reconnaissance conjointe a posteriori est un fait dont la preuve, comme il est de règle pour les faits juridiques, doit pouvoir être rapportée par tout moyen, y compris par présomptions. L’appréciation relève des juges du fond. La Cour de cassation estime en l’occurrence qu’ils ont pu justement déduire des circonstances, que le refus de la mère était établi et que la demanderesse se trouvait dans l’impossibilité d’obtenir une reconnaissance conjointe. La mère avait fait savoir à son ex-épouse qu’elle entendait ne lui accorder aucune place dans la vie de l’enfant et lui avait refusé le droit de le voir depuis la naissance.

L’adoption peut être prononcée si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, sans que le juge ait à rechercher si elle est indispensable pour protéger l’enfant d’un danger

Sur le second moyen, la Cour de cassation reprend la réponse qu’elle avait déjà donnée dans un arrêt antérieur (Cass. 1re civ., 23 mai 2024, n° 22-20.069, Bull. n° 359, obs. J.-J. Lemouland) à la question de savoir si la loi subordonne l’adoption à la seule condition du caractère illégitime du refus de reconnaissance conjointe et de sa conformité à l’intérêt de l’enfant, ou s’il pose une condition supplémentaire et autonome d’exigence de protection de l’enfant. En dépit d’un parcours parlementaire tourmenté et d’un vote en dernière lecture par l’Assemblée nationale dans un contexte pour le moins confus, la Cour de cassation a estimé dans son arrêt précité du 23 mai 2024, que l’interprétation de l’article 9 qui consisterait à exiger la démonstration que l’adoption est nécessaire pour protéger l’enfant d’un danger, réduirait considérablement les possibilités d’adoption et serait en contradiction avec l’objectif du législateur, qui a été de « ne pas priver l’enfant issu de ce projet parental de la protection qu’offre un second lien de filiation du seul fait de la séparation conflictuelle de ses parents ». Elle a considéré par conséquent que l'adoption de l'enfant peut être prononcée si, en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissante conjointe, elle est conforme à l'intérêt de l'enfant.

On retrouve le même raisonnement dans le présent arrêt et il aboutit à la même solution. Sur le fondement de l’article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2021, la Cour de cassation estime qu'au regard du projet parental commun, l'adoption peut être prononcée si, en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissance conjointe, cette adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant, souverainement apprécié par le juge, sans que ce dernier ait à rechercher en outre si la mesure d'adoption est indispensable pour protéger l'enfant d'un danger.

Plusieurs aspects avaient été discutés devant les juges du fond, mais ils relevaient de leur appréciation souveraine. La Cour de cassation considère qu’ils s’en sont suffisamment justifiés. L’existence d’un projet parental commun avait été contestée par la mère biologique qui soutenait qu’il se résumait à la seule décision initiale de recourir à l’AMP. En vain. Les juges ont relevé que les deux femmes avaient le projet de fonder une famille depuis plusieurs années, qu’elles ont mené ensemble le suivi médical et qu’elles ont signé toutes les deux la convention avec le centre médical belge. La légitimité du refus opposé par la mère biologique n’a pas été davantage retenue. La cour d’appel a considéré que ses griefs « à l'encontre de son épouse (au demeurant nécessairement subjectifs et en lien avec son propre état psychologique) ne peuvent l'autoriser à mettre en échec de manière unilatérale le projet commun du couple et l'objectif de l'établissement d'un lien de filiation ». Quant à l’appréciation de la conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant, elle relevait aussi du pouvoir souverain des juges du fond qui ont jugé en l’espèce que cet intérêt pour l’enfant était de pouvoir disposer d'une double filiation « afin notamment de lui permettre d'accéder au contexte de sa conception, de bénéficier de l'affection et de l'attention constante de ses deux parents mais également de s'inscrire dans ses deux familles élargies ».

La Cour de cassation conclut ainsi, sans grande surprise, que la cour d’appel a légalement justifié sa décision « au regard du seul critère pertinent de l’intérêt de l’enfant » (la CEDH a récemment jugé que l’intérêt de l’enfant pouvait justifier une adoption sans le consentement de la mère sans que cela porte pour autant atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale : CEDH, 25 mars 2025, n° 38134/20, N.S. c/ Royaume-Uni). Quant à savoir si l’intérêt de l’enfant y trouvera effectivement son compte, c’est un espoir platonique puisqu’il n’y aura aucune évaluation dans le temps de la décision qui a été prise. Les contentieux ultérieurs dans ce genre d’affaire mériteraient sans doute que l’on s’y intéresse, et ils pourraient constituer un indicateur instructif (parmi d’autres) de la pertinence des décisions initiales prises sur ce fondement.   

Il est probable que des situations similaires donneront à la Haute juridiction d’autres occasions de se prononcer encore pendant quelques années, avant que les dispositions transitoires ne trouvent plus à s’appliquer, et que le régime de la reconnaissance conjointe anticipée de l’article 342-11 du code civil lui succède complètement.

Jean-Jacques Lemouland, professeur des universités, CERFAPS (EA 4600 Université de Bordeaux)
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